UKRAINE – “La Russie envahit l’Ukraine, plusieurs villes bombardées”. Le monde s’est réveillé face à une terrible nouvelle ce jeudi 24 février, la crise entre la Russie et l’Ukraine ayant pris un tour des plus dramatiques: la guerre est désormais au porte de l’Europe. Qu’est-ce que cela implique? Jusqu’où Vladimir Poutine peut-il aller? Sommes-nous en guerre? Difficile de ne pas se laisser gagner par l’inquiétude et se demander ce qu’implique réellement le lancement de cette invasion.
Sur Twitter, les termes “WWIII”, “World War 3″, soit “Troisième Guerre mondiale”, comptent d’ailleurs parmi les plus tweetés en France et dans le monde ce jeudi. De nombreux internautes s’imaginant déjà -non sans humour- devoir rejoindre le front, enrôlés de force dans l’armée, comme en 14-18 ou 39-45. Si leurs réactions prêtent à sourire, la question est pourtant bien réelle: sommes-nous à l’aube d’une Troisième Guerre mondiale?
Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie à l’université Montpellier et l’Institut Diplomatique de Paris, a répondu aux questions du HuffPost.
Le HuffPost: Avec ce qu’il s’est passé cette nuit, peut-on imaginer que l’on se dirige vers une guerre mondiale?
CGP: Non, nous n’allons pas vers une Troisième Guerre mondiale. Mais l’inquiétude est légitime et je comprends qu’on puisse se poser la question, il y a de quoi être très inquiet.
Le HuffPost: Qu’est-ce qui vous fait dire qu’on va échapper à ce cas de figure catastrophe?
CGP: Tout simplement parce que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Otan. Ainsi, la règle du “un pour tous, tous pour un” ne s’applique pas ici, malheureusement pour elle et heureusement pour nous, c’est triste à dire.
Joe Biden a annoncé qu’il n’enverrait pas de troupes militaires en Ukraine et les pays alliés de l’Otan ne vont pas non plus intervenir. Par contre il y aura une aide militaire, en équipement, mais pas de troupes étrangères officielles sur le sol ukrainien. Il y aura peut-être la présence non officielle de milices, de compagnies militaires privées, ou de mercenaires comme il a pu y en avoir déjà dans le conflit au Donbass. Mais pas d’armée officielle.
Le HuffPost: Vladimir Poutine pourrait-il aller plus loin que l’Ukraine? Pourquoi se focaliserait-il juste sur ce voisin-ci? Pourrait-il s’attaquer à d’autres pays de l’ancien Bloc soviétique?
CGP: Il faut comprendre que l’on assiste ici à l’explosion d’une tension russo-occidentale qui existe depuis des années. Depuis les années 2000, la Russie demande à l’Otan une réorganisation de l’architecture de la sécurité en Europe puisque le Kremlin reproche à l’Otan de s’étendre vers l’Est. Sauf que ces demandes sont restées lettres mortes et l’Ukraine s’est tournée vers l’Ouest, a demandé son adhésion à l’Otan et à l’UE. Aujourd’hui l’objectif de Moscou est de remplacer le régime ukrainien par un gouvernement pro-russe, tourné vers l’Est.
Quant à savoir si Poutine pourrait s’attaquer à d’autres pays de l’ex Bloc soviétique, ce n’est pas totalement exclu. Ce scénario pourrait se reproduire sur d’autres frontières, je pense notamment à la Pologne ou aux pays baltes. Sauf que ce sont des pays membres de l’Otan et je ne vois pas de pressions militaires russes à ces frontières sans une riposte de l’OTAN. En tout état de cause, ici il s’agit juste de l’Ukraine.
Le HuffPost: Quelles sont les conséquences à craindre à l’échelle mondiale à ce stade?
CGP: Une guerre froide n’est pas improbable. En prenant l’Ukraine, Moscou va vouloir équilibrer les forces, puisque la Pologne et les pays baltes ont des infrastructures militaires. La Russie va construire des bases militaires au Belarus et des équipements qui pourront être déployés sur le sol biélorusse, dont l’arme nucléaire. Ceci devrait se faire dans quelques mois. Nous pourrions revenir à la
guerre froide comme on l’a connue, avec pression et menace continue ?
À côté de ça, la Russie va être isolée, aussi bien diplomatiquement qu’économiquement. La logique des blocs semble s’être mise en place avec le tandem Chine-Russie notamment. Enfin, avec la prise de l’Ukraine, il va y avoir une fuite de la population. Vers la Pologne, qui accueille déjà beaucoup d’Ukrainiens, vers la France, d’autres pays de l’UE, vers le Canada qui compte une grande diaspora ukrainienne et vers les États-Unis qui devraient faciliter leur venue sur le territoire américain.
Le HuffPost: Est-ce que la France peut être militairement engagée dans ce conflit?
CGP: Pour l’instant Macron n’a promis que des sanctions. Je ne vois pas une décision militaire française d’intervention. Est-ce qu’il y aura des pays européens prêts à le faire indépendamment de l’Otan ou de l’UE dans le cadre d’une participation nationale? Je ne sais pas. C’est possible, mais je ne crois pas qu’un pays ait particulièrement envie de se démarquer des autres pays européens, ce qui brouillerait l’image d’unité que l’UE veut donner. Pour le moment, le président ukrainien Zelensky ne veut pas d’interventions de troupes armées étrangères sur son territoire.
Puis quand bien même, je vois mal un pays vouloir se risquer face à la Russie, surtout après le discours de Poutine qui menace ceux qui voudraient le stopper de “conséquences que vous n’avez encore jamais connues”. On pense évidemment à l’arme nucléaire. Donc il faut garder la tête froide et attendre les décisions des chefs d’État.
Le HuffPost: Donc en attendant l’Ukraine est abandonnée à son sort?
CGP: Pour l’instant, l’armée ukrainienne va devoir faire face seule à l’armée russe, malheureusement, oui.
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